Le jeûne -1-
Jeûne, spiritualité et écologie
par Jean-Claude Noyé
Texte et bibliographie extraits du « Grand livre du jeûne » (Ed. Albin Michel) de Jean-Claude Noyé, avec l’aimable autorisation de l’auteur
Nous avons croisé des jeûneurs chevronnés engagés activement dans la sauvegarde de la planète. A commencer par Gandhi, écologiste avant l’heure, très critique face à la société industrielle. Son slogan « Vivre simplement pour que simplement tout le monde puisse vivre » a fait florès. Notamment auprès des militants de la simplicité volontaire et de la décroissance, représentés en France par le mensuel Silence et le bimestriel La Décroissance. Bien que très minoritaires, ces militants, et les théoriciens qui les soutiennent, comme l’économiste Serge Latouche, se sont invités dans le débat politique et posent une vraie question : « Peut-on avoir une croissance illimitée sur une planète aux ressources limitées ? » Ils font valoir, non sans raison, que les termes « développement » et « durable » sont antinomiques car le développement économique entraîne nécessairement un surcroît de consommation d’énergie et donc, de pollution. Une charge supplémentaire pour la planète qui n’en peut déjà plus.
Très bien, dira-t-on, mais quel rapport avec le jeûne ? Tout simplement l’apprentissage de la frugalité. Jeûner revient à réaliser combien on peut trouver sa joie dans le désencombrement et le partage avec autrui. Cette pédagogie de la frugalité (ou de la sobriété) heureuse sera de plus en plus d’actualité. Tous les experts s’accordent à dire que la première des réponses à la crise énergétique – due à la fin prochaine du pétrole, lequel ne sera remplacé, avant longtemps, par rien d’équivalent en terme d’efficacité énergétique – , est la réduction drastique de notre consommation d’énergie. Consommer moins, consommer mieux. Et, a-t-on envie d’ajouter, placer l’essentiel de sa vie ailleurs que dans la consommation. L’avidité orale est au cœur de notre société, comme l’explique bien Costi Bendaly . Le jeûne conteste vitalement cette avidité. Il conteste donc intrinséquemment la société de consommation. Il conduit, à terme, à revoir notre mode de vie : notre rapport aux autres, au travail, à la production, notre capacité ou non à lâcher prise. Et, bien sûr, notre mode d’alimentation.
Ceux qui jeûnent régulièrement, plus attentifs à l’impact des aliments sur leur bien-être, recherchent des produits de bonne qualité nutritionnelle. Sensibilisés aux conséquences négatives pour la santé d’une alimentation trop carnée, ils réduisent généralement de manière significative leur consommation de viande ou même deviennent végétariens. Or on sait l’impact négatif d’une alimentation très carnée – comme l’est celle des Etats-Uniens – sur la répartition des richesses mondiales. Les chiffres sont parlants : pour obtenir un kilo de protéine de bœuf, il faut sept à dix fois plus de surface arable que pour un kilo de protéine végétale, ce qui signifie 90 % de pertes qui permettraient de nourrir 1,3 milliard d’humains. Sans compter que pour multiplier les surfaces arables qui permettront de nourrir des animaux, on détruit des forêts et en premier lieu la forêt amazonienne. Ce faisant on modifie durablement les équilibres écologiques. De surcroît la production massive de viande contribue de manière significative à épuiser les énergies fossiles utilisées pour transporter les fourrages, chauffer les étables et conduire les animaux à l’abattoir. Autant de milliards de tonnes d’oxyde de carbone en plus. Enfin, n’oublions pas que 100 litres d’eau suffisent pour produire une livre de blé alors qu’il en faut 1500 pour obtenir une livre de bœuf. Chacun sait que demain, l’eau sera une denrée rare, très rare …
Des données qu’il faut mettre en parallèle avec celles-ci : aujourd’hui encore, 850 millions de personnes sont sous-alimentées et 1,5 milliard d’individus n’ont pas accès à l’eau potable. Symétriquement, la planète compte 1,7 milliard de personnes en surcharge pondérale. Résonne plus que jamais l’intuition d’Armand Marquiset, le fondateur des Petits frères des pauvres et inspirateur de l’association Avoir faim pour partager : prendre conscience du problème de la faim à travers le simple geste du jeûne, ou de toute autre privation, et en donner la contrepartie à l’action de lutte contre la faim. Une goutte d’eau, certes, et pourtant… L’abbé Pierre a encouragé l’association. Il disait aux jeûneurs qui chaque semaine versaient le prix d’un repas à Frères des hommes : « Certes le choc psychologique et moral d’un repas manqué peut paraître dérisoire à nos cerveaux de rationalistes ; il est pourtant le préalable nécessaire. Tenez fermement ce préalable. »
« Le renoncement à l’incorporation destructrice des formes supérieurs de la vie – les animaux et les produits de ces derniers –, reçoit la signification d’un refus, périodiquement affirmé en acte par le jeûne, d’adopter à l’égard de la vie une attitude possessive et agressive. » Comme l’explique encore Costi Bendaly.
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